(contribution pour l’association Alter Equus)
Pourquoi le paint-horse ? Et pourquoi un élevage au plus proche de la nature ?
Vous savez, c’est à cause de ces lectures d’enfance, ces lectures dangereuses qui vous marquent à vie et vous modèlent comme de la glaise. C’est à cause de Jack London, de Curwood et de Derib. C’est à cause des grands espaces, des Amérindiens, et du Grand Esprit. A chaque fois que notre troupeau traverse au galop la prairie, d’une certaine manière, il nous relie à tout cela, nous rapproche d’un paradis perdu ou imaginé où l’homme, sa monture et la nature ne faisaient qu’un.
C’est aussi pour toutes ces raisons qu’il était évident pour nous, en exerçant ce métier plusieurs fois millénaire d’éleveurs de chevaux, de laisser vivre ces derniers en groupes, dans de vastes pans de montagnes, pieds-nus et en contact avec la Terre ; de leur permettre de respecter leurs cycles naturels ; de leur offrir la possibilité de boire de l’eau vivante et de diversifier eux-mêmes leur alimentation en fonction des fleurs, feuilles, graminées, écorces, et autres baies disponibles selon les saisons.
Question plus difficile : pourquoi des lignées de halter[1] et de champions ?
C’est vrai que ça peut paraître contradictoire avec ce que j’ai dit plus tôt. La vérité c’est qu’il n’y a ni raisonnement, ni stratégie derrière ce choix. Au départ, c’est le « hasard » qui a mis sur ma route un tel cheval. Œil bleu et robe de feu, doux et ardent à la fois, il allait devenir l’étalon de notre élevage, le roi de Midsummer Night’s Dream[2]. Depuis, la beauté sculpturale des chevaux de halter éclipse tout le reste. Ensuite, nous avons sélectionné les lignées les plus prestigieuses parce qu’à notre sens, élever c’est viser l’excellence.
Premier pari : les chevaux sauraient-ils s’adapter à cette nouvelle vie ?
Nous avons procédé par étapes, avec l’aide d’un cheval expérimenté chargé d’apprendre à nos top models fraîchement arrivées des USA tout ce qu’un cheval digne de ce nom doit savoir (boire au ruisseau, reconnaître les plantes, explorer un nouveau territoire). Ce fut long et ce ne fut pas sans difficulté. Mais dès le deuxième hiver les juments n’avaient plus besoin de couverture et savaient gratter la neige pour trouver l’herbe craquante au-dessous. Toutes avaient développé une intelligence de leur environnement incroyable, des pieds sûrs leur permettant de se déplacer rapidement et avec aisance quelle que soit la nature du terrain, et une musculature naturelle et harmonieuse (bien que nous soyons très proches de nos chevaux, il est important pour nous pour des raisons éthiques qu’ils soient le moins possible dépendants de nous : ceci concerne l’accès à l’alimentation et à l’eau, la vie sociale, les stimulations intellectuelles ou même la sexualité mais aussi l’exercice physique, la musculation, ou les étirements). Ils étaient magnifiques et en pleine santé. La première génération naquit au domaine. Les poulains étaient eux spontanément adaptés à leur environnement, le pied extraordinairement sûr en suivant leurs pairs à travers la montagne, côtoyant sereinement la faune sauvage, apprenant de plus les codes et le langage équins grâce à la vie de troupeau.
Second pari : notre démarche trouverait-elle un écho favorable ?
Cette question se posait aussi. En toutes choses (choix de la « race », des lignées et du mode de vie et d’équitation) nous avions suivi notre cœur et notre instinct, ce que notre passion et nos tripes nous dictaient de faire mais… Mais est-ce que les passionnés de halter s’intéresseraient à nos chevaux élevés comme des mustangs ? Et à l’inverse est-ce que les amoureux de nature s’intéresseraient à nos lignées de champions du monde ? Seul l’avenir nous le dirait…
Aujourd’hui nous n’avons plus aucun doute : un beau cheval est toujours apprécié, reconnu à sa juste valeur. Quant à leurs performances physiques et à leur intelligence, nés et élevés dans la montagne, dans les bois, sur des terrains escarpés nécessitant endurance, aplombs et vivacité, nos chevaux n’ont rien à envier à n’importe quel cheval de travail, bien au contraire. A vivre ainsi leur vraie vie de cheval, il me semble même parfois découvrir quelque chose de plus dans l’œil de nos poulains… comme un enchantement ou un supplément d’âme.
J’ose aussi croire qu’aujourd’hui en France ces lignées sont de plus en plus appréciées à leur juste valeur au fur et à mesure que le type s’oriente vers un modèle plus fin et plus léger, plus athlétique et plus polyvalent (y compris sous la selle) que le cheval de halter d’autrefois. Et j’ose croire qu’ils sont de plus en plus nombreux ceux qui se soucient de se rapprocher de la nature, ceux qui se soucient de vivre avec un cheval équilibré et intelligent qui n’a vécu aucun traumatisme (ni au cours de sa naissance, ni au cours son éducation, ni même au cours du sevrage), un cheval qui « parle » cheval, bien dans sa tête et bien dans ses sabots, vivant en symbiose avec son environnement mais aussi en confiance vis-à-vis de l’humain car la relation que nous nouons avec eux est primordiale[3].
Elever des chevaux de halter au cœur de la nature, une alliance riche de promesses ?
C’est par la suite seulement que j’ai compris que notre démarche instinctive, validée par nos chevaux comme par de nombreux passionnés, trouvait également une validation dans les orientations récentes de la recherche scientifique. De par leur génétique, nos chevaux naissent avec un modèle beau et harmonieux au plus proche de l’idéal de la race. Et cet héritage prestigieux se retrouve merveilleusement complété par leurs conditions de vie. Evoluer en troupeau et en extérieur à l’année leur a apporté rusticité, endurance, musculature, intelligence, et équilibre… naturellement. Nos poulains sont littéralement sculptés par la beauté et l’âpreté de la montagne. Or l’épigénétique, domaine de recherche qui ne s’est développé que très récemment, propose justement d’examiner le rôle fondamental de l’environnement sur l’expression des gènes et d’étudier la possibilité de transmettre des caractères acquis ! Après tout, c’est seulement une alimentation différente qui va faire d’une larve d’abeille une reine et non une ouvrière. Alors, oui, on peut imaginer l’impact à très court terme que peuvent avoir les conditions d’élevage sur les chevaux. Et s’en servir… à bon escient.
[1]Le Halter est une épreuve western où le cheval est jugé selon sa conformation. C’est l’équivalent de l’épreuve de « modèle et allures ». On recherche le cheval ressemblant le plus à l’idéal de la race.
[2] Midsummer Night’s Dream Paint-Horses (MND), le nom de notre élevage
[3] Nous avons pu constater qu’avec de tels chevaux, même le débourrage devient une formalité.
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