J’ai grandi en Provence, au pied de la montagne de Lure, le Mont Parnasse gionien ; le poète aimait dire que personne n’avait mieux décrit cette terre que Shakespeare. Cela convenait à une petite fille aux yeux verts portant un nom de fée.
Sur le plateau, elle rendait régulièrement visite à deux très vieux chênes qui méritaient son adoration : en balançant lourdement leurs branches et en agitant leurs feuilles, ils faisaient le vent, ce grand vent qu’on appelle « fléau de la Provence » mais qu’elle aimait, elle ; ces arbres étaient des faiseurs de Mistral, des Titans. Elle laissait tomber son vélo et s’asseyait entre les solides racines, en short, les genoux tout égratignés, autour de son cou palpitait un pendentif mystérieux de saphir et d’argent. Et elle regardait les grandes ramures façonner le vent. Et elle écoutait la voix, le feulement, la rumeur profonde.
Je ne sais plus si on a ri, si on s’est moqué, ou si on lui a expliqué gentiment que non, les arbres ne font pas le vent ma chérie, que c’est le vent au contraire qui secoue les arbres. Je me rappelle seulement être passée d’un monde fabuleux à un monde désenchanté – privé de chant : il n’y avait plus de faiseurs de vent. Le lien qui s’était naturellement tissé entre une petite fille au nom de fée et les grands chênes, entre une fadette des champs et les bêtes, les bois, les sources avait été brutalement rompu. Le fil de Mab était coupé. Il fallut tout reprendre et tout raccommoder. Les chevaux m’ont montré comment faire. En quelque sorte, ce sont eux qui m’ont appris à ravauder.
Et puis il fallu raconter.